Le CEO candide
28 mai 2013 |À l’heure des réseaux sociaux, le public en délire réclame toujours plus d’authenticité. L’arène 2.0 ne supporte pas le congelé. On fustige la langue de bois. On demande aux marques de se comporter comme si elles partageaient notre chambre à coucher et, aux chefs d’entreprises, de nous parler franchement.
Vraiment? Non, pas vraiment.
En fait, il y a une belle part de théâtre dans ce renouveau « authentique » qui souffle sur les plateformes sociales. Une anecdote récente impliquant le président du détaillant américain Abercrombie & Fitch en est un excellent exemple.
Comme la plupart des grandes marques fashion, Abercrombie fait la promotion de ses produits en utilisant l’image de jeunes personnes très attirantes. Mais, à la différence des autres grandes chaînes de vêtements, l’entreprise n’offre tout simplement pas de vêtements pour les femmes en surpoids (je parle ici de tailles au-dessus de 16). Cela peut nous paraître banal au Québec, mais aux États-Unis, les chaînes comme H&M ou American Eagle proposent toutes des tailles XL ou XXL.
J’imagine que vous n’êtes pas encore scandalisés. Maintenant, prenez le temps de lire ce que Mike Jeffries, PDG de l’entreprise, avait à dire au sujet de la stratégie de marketing et d’image de sa compagnie, dans une entrevue récemment rapportée par le Business Insider:
« Le sex-appeal, c’est presque tout ce qui compte. C’est pourquoi nous engageons de belles personnes pour travailler dans nos magasins. Les belles personnes attirent les belles personnes […]. Dans chaque école, il y a des jeunes qui sont populaires et il y a les autres. Je vous dirais, de manière très candide, que nous ciblons spécifiquement les jeunes qui sont cools, qui ont une belle attitude et beaucoup d’amis. Des tas de gens n’ont rien à faire dans nos vêtements. Pratiquons-nous une forme d’exclusion? Oui, absolument. Les entreprises qui ne performent pas bien aujourd’hui ciblent tout le monde : jeunes, vieux, gros, minces. Quand vous faites cela, vous perdez toute saveur. »
La candeur des propos de ce PDG et la transparence de sa stratégie sont proportionnelles au malaise ressenti par le lecteur. Bien que ces propos datent de 2006, ils n’ont été rapportés que très récemment dans le cadre d’une série d’articles sur les jeunes, la mode et l’obésité. Le déchaînement a été complet sur les réseaux sociaux. La vidéo suivante a été mise en ligne le 13 mai dernier et visionnée par plus de 7 millions de personnes.
Évidemment, on voudra détester ce président à la figure de porcelet bien frais qui vend des vêtements à l’odeur d’exclusion sociale et de superficialité. Je me permets toutefois de paraphraser ici l’une de mes clientes (dont je protègerai l’anonymat!) qui me répétait récemment cette triste vérité : on ne vend pas des magazines de mode en mettant des petites boulottes sur la couverture!
L’industrie de la mode, de manière générale, utilise exactement les mêmes tactiques de ciblage et de branding qu’Abercrombie, mais de manière plus poétique. Les messages de beauté intérieure juxtaposés à des images de mannequins anorexiques ne trompent personne, mais on accepte le subterfuge en achetant la part de rêve qui compose l’essence de toute marque. En mode, l’authenticité, c’est bon pour les nuls ou pour Dove et ses pains de savons. Vous essaierez d’ailleurs de trouver autre chose que des tailles minuscules dans les boutiques tendance. Bonne chance.
Alors, entre la vérité toute nue et l’hypocrisie assumée, que choisit-on?
Ce dilemme nous rappelle qu’il ne faut donc pas occulter un aspect important de l’histoire. La raison pour laquelle le consommateur accepte de se faire bourrer de mensonges, c’est qu’on lui fait croire qu’il peut faire partie de la clique. Mike Jeffries a fermé cette porte publiquement en discutant de sa stratégie marketing avec autant de transparence.
N’oublions pas qu’il y a sept ans, à l’époque de ses propos, nous vivions sur la planète 1.0…
À la semaine prochaine,
😉
Stéphanie